Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillon dans les amas de pierre.
Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmis les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon coeur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur.
Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde.
Mais à regarder l’échine solide du Chenoua, mon coeur se calmait d’une étrange certitude. J’apprenais à respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais […] Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde.
Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.
Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort […]
J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition humaine.
ce texte a accompagné mon adolescence, chargé de tous mes espoirs, toutes mes croyances et toutes mes certitudes balbutiantes ;
compagnon de route dans mon carnet de notes, il m’a accompagné les jours de doutes …
je l’aime encore ;
Albert Camus est mort il y a tout juste 50 ans ;
2 commentaires
Un grand merci pour ce souffle méditerranéen, mêmes lieux, même mémoire pour moi
très émue….. bises
C’est incroyablement romantique. C’est drole, je ne me souvenais pas de Camus comme ca. J’avais garde un profond malaise de la lecture de l’Etranger. Je devrais relire peut-etre.