Nous avions l’habitude d’aller chez lui, mais notre emploi du temps un peu mouvementé nous avait quelque peu éloigné de sa boutique ; moins sombre que les autres avec certains des “artifices” que les européens apprécient ; du bois ciré mais point trop n’en faut, de la poussière patiemment accumulée et des bibelots rangés par famille d’objets ;
je ne sais pas si ce terme convient pour décrire la foultitude de merveilles amassées ;
les spécialistes me le concèderont, il conviendrait de parler de “pièces”; de belles factures pour la plupart elles venaient de toute l’Afrique ; des tissus Kuba du Zaïre en raphia teint, des tabourets de brousse Sénoufo en bois de fromager à la belle patine blonde, des pilons à céréales du pays Baoulé en Côte d’Ivoire usés à force d’usage… tout un univers que j’affectionne particulièrement ;
j’ai été à bonne école sans doute car mon mentor m’initia avec la souplesse nécessaire à un bon enseignement ;
dans son grand boubou noir en bazin empesé, Alpha nous accueillit donc avec la faconde et le sourire propre aux Africains ; les dernières nouvelles s’échangèrent : le temps, la famille, les enfants, les fêtes qui approchaient … la revue de presse achevée, il s’assit pour nous laisser nous emplir les yeux ; il savait très bien que nous avions, l’un et l’autre besoin de temps pour évaluer sa marchandise en fonction de nos coups de cœur ;
lors de mon dernier passage, j’avais été attirée par des merveilles de colliers d’ambre anciens avec des perles énormes allant du jaune pâle au rouge presque noir ; curieuse ou bien désireuse de passer un bon moment je l’interrogeai ; s’ensuivit une leçon magistrale concernant les origines de ces bijoux composés peu à peu au fil des ans car il n’existe quasiment plus de colliers originaux ; tous ont été démantelés par les accidents de la vie ; de chaque perle approximativement taillée il connaissait l’histoire et savait qui avait été son marchand et dans quelle circonstance ; translucide lumineux et veiné à l’opaque patiné, l’ambre est attirant….
assise dans un majestueux fauteuil en bois d’arbre je l’écoutai, fascinée que j’étais par sa science ainsi que par son humour ;
j’y aurais passée des heures ; et c’était normal, j’étais en Afrique ;
après nous être enquéris de la valeur de diverses pièces et d’avoir parlé à bâtons rompus le marchand revint sur un masque qui avait attiré notre attention ; superbe, il avait soi-disant “dansé”; un masque porté lors d’une danse rituelle signifie qu’il a participé à la vie du village il y a longtemps à l”époque ou les cérémonies étaient de la plus haute importance pour une commémoration par exemple ; celui-ci venait des îles Bijagos ou les traditions initiatiques sont encore très fortes ; celui qui ose déroger aux règles communautaires et emporter le masque hors de l’ile s’expose pour le sur à la colère de ses pairs…
le jeu du chat et de la souris avait commencé et je m’en délectais ;
chacun avait un seuil qu’il ne pouvait enfreindre ;
plus longtemps il saurait résister aux “griffes” du marchand et mieux il serait considéré ;
c’était le jeu et il savait qu’il ne pouvait s’y soustraire ;
sa longue expérience de la palabre le guidait vers le chemin de l’indifférence ;
la discussion semblait s’enliser et puis comme la pétrel qui plonge sur le poisson du déjeuner elle rebondissait et nous emmenait vers d’autres ethnies et d’autres histoires ;
le couperet tomba peu avant l’heure du déjeuner ; par un miracle que seule la nature humaine sait délier le prix était convenable pour les deux parties ; chacun y trouvait son compte et personne n’y perdait ;
l’honneur était sauf ;
jamais cela n’avait tourné à l’altercation car c’était un jeu dont chacun connaissait très précisément les règles et les usages ; un “mboro” conclut le marché, la main tendue et les doigts claquèrent ; une accolade scella la transaction et le masque-heaume fut emballé ; le marchand me redit qu’il avait la négociation dans le sang et qu’il en maitrisait les coutumes ;
et qu’il aurait d’ailleurs pu naître en Afrique…
J’ai beaucoup aimé ça !
1 commentaire
Joli texte Dame Dumè. Tu aurais pu l’intituler “l’art de la patience”.
Le masque est absolument splendide.