J’ai été cueilli hier par une petite fille au pied du Karthala ; de ses menottes, elle s’agrippait à mes frères et nous envoyaient dans le panier que portait sa jeune soeur à peine plus haute que trois goyaves ; c’est vrai que je proviens d’un jeune plant, à peine un mètre de hauteur ; mais certains de mes cousins sont issus d’arbres de six mètres de haut…. tellement haut même que certains membres de ma famille qui habitaient l’Inde en ce temps là, étaient ramassés avec une technique bien particulière ; c’est bien en Inde que l’on peut trouver des singes, n’est-ce pas ? eh bien, les cueilleurs de poivre nous ramassaient puis nous déposaient délicatement par terre en petit tas ; puis ils partaient ; les singes dans les arbres les regardaient un peu perplexe…. lorsqu’ils se retrouvaient seuls, ils avaient eux aussi envie de participer à ce drôle de jeu ; ils faisaient donc la même chose reproduisant fidèlement les gestes des récolteurs ; et c’est ainsi que de petits tas, mes cousins se transformaient en sacs énormes embaumant jusqu’au bout de la province du Kérala ; je me souviens même de leur nom, vous voyez que ce n’est pas de la blague…. ils s’appelaient ces lointains cousins “tellichery pepper” !
ma famille est loin de leur ressembler, nous sommes en général un petit peu plus petit, un chouïa moins puissant mais non moins odorant si l’on en croit les femmes qui nous utilisent ; ici elles savent, presque d’une façon innée, nous faire sécher au soleil, nous remuer dans tous les sens, nous secouer doucement pour que nous leur donnions le meilleur de nous même ; juste après la cueillette, lorsque nous sommes encore verts nous exhalons de puissants arômes de sous-bois, de champignons, d’humus et de terre ;
un peu plus mûrs ce sont des fragrances de cuir avec toujours des notes boisées ;
parfaitement séchés mes cousins et moi-même nous nous recroquevillons pour mieux exploser en bouche ; non pas avec ce goût amer et arrache-museau que l’on pourrait trouver ailleurs ; non ; plutôt avec une extrême puissance aromatique en bouche assortie d’une grande finesse ; présence magnifique pour un poivre magnifique en bouche m’a t’on dit ;
black pepper
et puis, le plaisir sur terre, lorsque l’on nous écrase doucement avec un de ces gros galets, l’explosion de fraîcheur, de menthe et d’agrumes…. concassés grossièrement c’est la meilleur façon de profiter de notre famille ; au jour le jour quasiment…. notre piquant n’est jamais agressif mais finement tenace ;
le père des petites filles m’a offert au cuisinier de la mzungu ; elle m’a rangé dans sa valise ; elle l’a fait d’une main calme et pleine de douceur ; je suis sur que je serai bien traité avec elle ; et moi, petit grain de poivre de l’Océan Indien, je suis fier d’avoir le pouvoir de mettre en valeur la gastronomie et même, m’a t’on, dit d’avoir le pouvoir de mettre du piquant dans la conversation…. tiens, ce soir elle m’a rajouté avec ma coupine la vanille sur une langouste simplement rôtie…..
6 commentaires
Quelle jolie vie, petit grain de saveur, quel plaisir de la découvrir sous la plume de notre voyageuse amoureuse du bien manger !
J’espère te raconter, bientôt, la belle histoire d’autres cousins à toi, ceux que je vais aller rencontrer, tout là bas au pied du mont Bokor
le Cambodge….. j’en rêve ; alors sur que je te demanderai de me raconter 😉
Il est joli ton poeme a la gloire du poivre – tu vas rapporter des valises bien parfumees. Je me souviens encore du parfum echappe de l’enveloppe l’an dernier, magnifique!
comment se passer de ces petits grains?? très beau billet 🙂
Manon